Et la lame sur ma chair.

  Je tiens le cutter contre mon pouce. J’appuie, j’hésite un instant mais n’enfonce pas. Cet instant je l’ai déjà vécu, en une seconde, je suis transportée 13 ans plus tôt dans cet appartement qui sent le tabac froid. J’ai sept ans, et je suis censée être toute seule le temps d’une course. Au bout d’un moment, je me rends compte qu’il n’est pas parti pour une simple course, j’ai sept ans mais j’ai compris. Je regarde par la fenêtre, et je vois bien qu’il n’est pas du tout dans les commerces, j’ai raison et je voudrais avoir tord. Je sais, que si je suis toute seule dans ce salon, c’est parce qu’il s’est arrêté pour boire. Je la refuse cette réalité, évidemment. Je pleure, parce que je suis triste et peut être que ça le fera revenir.                                                                                                                        Il y a ce cutter sur la table, si je me fait mal, forcément il va revenir, alors je le prends, pose la lame à l’intérieur de mon pouce et l’enfonce. Je saigne et le hasard voudra que mon père franchisse la porte à ce moment là.

Je n’ai pas appuyé, parce que je n’en ai plus besoin, parce que je n’ai plus personne à faire venir. Je me rends compte, que ce n’est pas normal de soulager sa peine par la douleur lorsque l’on est enfant. Mon corps d’enfant devait tellement déborder de chagrin, pour en arriver là.

Quand je regarde cette marque, elle me rappelle le chemin parcouru, et la douleur d’un moment de ma vie. Plus jamais, la peine ne sera soulagée de cette manière. Parce que j’ai grandi. Parce que maintenant ma vie est différente. Parce qu’il n’est plus là. 

Parce que j’ai tellement moins mal.

La lame sur ma chair, je la sens encore mais maintenant je suis plus forte.